1.7.11

Sedona / Flagstaff/ Grand Canyon/ Williams - 19 juillet







Panique à bord : les enfants se décident à sortir du lit à 10h40 alors que le check out est à 11 P.M. Pierre et moi leur avons rapporté des bricoles du buffet (porridge, gaufres, lait, jus de fruit) mais comme d’habitude, ils vont à peine y toucher, groggy de sommeil, l’œil rivé à l’écran de télévision. Gaston râle: il en a assez de changer d’hôtel tout le temps. On aurait dû faire la route en mobile home…




Nous quittons l’hôtel par la 89 A qui serpente au milieu de Oak Creek Canyon. Je suis aux aguets, le visage rivé à la route : je cherche à localiser la maison du père de mon héros, et j'ai en tête depuis longtemps de lui trouver le long de cette route une maison sous les arbres en contrebas, surplombant la rivière, et dont la vue donnerait sur la falaise de roche rousse, monolithique. Je demande à Pierre d’arrêter la voiture. Je descends, mon appareil photo en main. A l’arrière de la voiture, les enfants prennent leur mal en patience - je vois bien que j'embête tout le monde avec mes repérages. La romancière culpabilise alors que ce projet de livre EST à la base ce qui nous a poussé sur cette route. Le monde à l'envers...







Je photographique à la va-vite plusieurs maisons, pancartes, numéros de villas, marche sur le bas-côté de la route, abritée du soleil par les pins géants du parc forestier de Coconino.







 Et soudain, elle m’apparait : logée-là, au N° 9607 Oak road, dressée sur pilotis, enfouie sous les feuillages des arbres, avec son pont/passerelle, et cette étrange dépendance dont la forme plus ou moins hexagonale évoque un pigeonnier. C’est elle, la maison de Benjamin Blur, celle où s’écriront de nombreuses pages de «Black coffee ».

vue depuis la route, on distingue sur la gauche ce qui va devenir le petit bureau de Benjamin Blur



Le chemin qui descend depuis la route jusqu'au garage et à la maison

Je la prends en photo le plus discrètement possible - ici, les touristes sont mis en garde contre toute tentation d’arpenter les chemins qui mènent aux propriétés privées.


 


Je rejoints la voiture heureuse, excitée : déjà, les idées fusent dans mon cerveau. 
Il me fallait cette maison, ce décor. Il me fallait un vrai point d'ancrage après la découverte de la maison de Narcissa (celle de l'ouverture sanglante du roman).

Nous faisons une halte à Flagstaff pour y prendre quelques clichés de vieilles enseignes: le ciel est chargé, mais pas d'averse, seulement une chaleur étouffante.






L'hôtel Weatherford, Aspen Avenue, où je ferai dormir Lola


Je suis séduite par le "European coffee" bar Macy’s où nous déjeunons alors que dehors, la température grimpe encore, vertigineuse.
L’ambiance générale de la ville est un mélange hétéroclite de post baba-cools, new age people, bikers roots et bobos. Des barbus crados côtoient des mères de famille sapées chic, un peu comme à San Francisco mais en plus « province », ça sent la douce cohabitation, la vie paisible pour les uns, la galère assumée pour les autres, le tourisme jovial pour qui fait la mother road.
Je m’amuserai assez de cette image: Desmond, lorsqu’il débarque de Chicago, se retrouve justement dans ce bar, Macy’s, avec pâtisseries maisons, café torréfié sur place, son lot de touristes et ses expos photos d'artistes locaux.



(photo trouvée sur le net)

oeuvre d'artiste trouvée sur le net représentant le café

Nous quittons Flagstaff et roulons jusqu’au Grand Canyon, faisant un écart de 150 km par rapport à la route 66 (Pierre voulait aussi faire rentrer au chausse-pied la visite de Monument Valley, un détour de 300 km au Nord, soit 600 km aller/retour, mais là j’ai dit non).




L’épisode Grand Canyon, en dehors de nous en mettre plein la vue, va traumatiser la famille et installer la scène initiale d’introduction de Lola Lombard dans le roman. Grosso modo, ce qui est décrit dans ces pages correspond à ce qui nous est arrivé : à peine entrés dans le parc, la police nous a interpelé pour excès de vitesse et deux officiers ont fait leur grand numéro, prêts à dégainer.


Je ne vais pas tout raconter en détail, c'est dans le roman, fidèle à la réalité.
Lorsque la voiture de police s’est éloignée, nous avons été rudement soulagés. Intérieurement, je doutais que l'homme que j'avais épousé puisse être ce type totalement dépassé par les évènements assis à côté de moi!
Je suis assez dur lorsque je juge mes actes. De la même manière, j'ai tendance à  porter des jugements aussi durs sur autrui - j’ai hérité ça de mon père, ce regard impitoyable sur soi et les autres, comme si on n’avait jamais droit à l’erreur, à un moment de faiblesse, à un petit coup de blues ou de panique. Ce jour-là, Pierre a ressenti un peu tout cela à la fois, et le fait qu’il ne comprenne rien à ce que le flic lui disait ni la raison pour laquelle on l'avait arrêté n’était pas dramatique en soi. Mais voilà : cela m’a mis dans l’obligation de faire face seule à une situation des plus angoissante, comme de s’entendre dire par un officier des plus nerveux « Est-ce que vous avez de la drogue, des armes, ou des objets volés dans vos valises, madame ?». Ce n’est pas très valorisant et ne ressemble en rien à des vacances de rêve. Je ne m’étendrai donc pas sur ce sentiment d’humiliation suprême, c’est relaté dans le roman.

Passons à plus intéressant : le reportage photo incroyable d’Annette.
Sans commentaire.













Le soleil ne va pas tarder à se coucher, nous reprenons la route en sens inverse, faisant des poses photos.







Celle-ci est incroyable





Le stress de notre contrôle de police m’a mis dans un sal état. J’ai des aigreurs d’estomac et hâte de manger quelque chose. Sur le chemin du retour (plus d’une heure pour sortir du parc), nous croisons des animaux sur la route. 




A un moment, excédé de ne pas trouver la sortie du parc, Pierre me passe le volant. Je conduis donc lorsqu’un loup surgit au milieu de la route dans la clarté des phares. Je le laisse tranquillement repartir, on aurait presque pu le caresser… Gaston est émerveillé.

Impossible de le prendre en photo - pas assez de lumière - mais il ressemblait à celui-là



Nous dînons dans un des restos pour touristes installés à la sortie du parc : un steakhouse plus ou moins mexicain où ils mettront des plombes à nous apporter à manger. Affamée, assoiffée, notre tribu se bourre de tortilla chips et de sauce salsa - ce qui n’arrange pas mon estomac dans lequel tombe aussi une Margarita assez infecte.







Pierre conduit sur le chemin du retour. Nous mettons à peine plus d’une heure pour rejoindre la 66 et Williams dans un état d’épuisement total. Pierre est comme hypnotisé par la route droite qui traverse une plaine désertique. Il ne voit pas le lièvre surgir - Gaston et moi, si. Le temps que l’info monte au cerveau et la pauvre bête passe sous les roues. Pierre n’a même pas ralenti. Gaston assène alors cette phrase mémorable : « Papa, t’es méchant ». De ces instants un peu magiques et cruels comme le sont parfois les contes, je dois dire que l’écrivain se régale. Si vous avez lu « Black coffee », cette scène vous dira sans doute quelque chose!




Nous n’avons pas réservé d’hôtel à Williams. Pierre a pensé que ce n’était pas nécessaire : "Williams ne manque pas de motels et c’est pas l’affluence, l’Arizona ». Pierre a tendance à oublier que nous sommes 4  et que nous voyageons avec un petit bout de chou qui fait beaucoup d'effort pour passer ses journées dans une voiture mais qui devient de plus en plus impossible au fil du voyage à force de rester assis. (d'ailleurs, n'a-t-il pas tendance à jaillir de la voiture et de courir en tout sens dès qu'on ouvre la portière, même près d'un précipice?) Bref. Nous aurions été mieux inspirés de faire comme je le recommandais, de réserver une chambre au Grand Canyon :  les hôtels au Grand Canyon village sont paraît-il hors de prix, mais il y a des motels très abordables à l'entrée du parc. A 50 dollars près, on aurait bien plus apprécié l'étape que ce qui va suivre.


Le Grand Canyon au-dessus, Flagstaff à l'est





Quand on arrive à Williams, il est minuit : autant dire que trouver une chambre avec deux grands lits, c’est la croix et la bannière. On fait plusieurs tentatives - la galère de plus pour les enfants, vannés à l’arrière - je descends demander s’il reste des chambres, et soit la réponse est non, soit le prix annoncé est trop élevé, soit les lits sont trop petits ce qui nous obligerait à prendre deux chambres. J’enrage, avec mon estomac en feu (ceux qui souffrent d’ulcères doivent compatir depuis le début du blog).  Finalement, j'abdique devant un Econo Lodge à l'entrée de la ville (on a fait demi-tour). 




Le prix annoncé est correct et dans l’obscurité, la chambre semble l’être aussi.
En fait, non.
C’est la plus pourrie et la plus dégueu de tout notre voyage. La cerise faisandée sur le gâteau rassis. Des trous dans les draps, une moquette tellement crasseuse que nos pieds deviennent noirs, une salle d’eau au carrelage déchaussé et dont la fenêtre donne sur les poubelles du motel, une porte qui ne joint pas et un jour de 5 cm dessous, une clim’ monstrueusement bruyante et malsaine… Evidemment, pas de piscine.
A éviter d'urgence.
Mais on est tellement épuisés qu’on pourrait dormir au milieu d’un carrefour.
Le lendemain sera terrible.
Moi je vous le dis.

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