30.6.11

Williams / Las Vegas - 20 juillet


Face à notre motel, des "attrape-touriste": nous sommes bien sur la Route 66



Et là commence le vrai travail: transcender le pire moment du voyage.
Celui où je cède comme une branche sous le poids de la neige.
Epuisement physique et nerveux.





Toute la nuit, des trains traversent la ville, signalant leur passage : c'est comme si on sifflait dans une trentaine de cors de chasse en même temps un fa et un fa dièse.

Je me réveille à Williams dans une chambre moche, à l'hygiène douteuse, avec une odeur de cigarette que brasse la clim' (dehors, des types fument juste devant notre chambre). Une migraine violente m'assaille avant même que j'ouvre les yeux. Quand je les ouvre, c'est pire. Les enfants et Pierre dorment encore, il faut secouer tout le monde, vue l'heure, sinon, pas de petit dèj, et sans petit dèj, je ne pourrai pas atténuer les brûlures d'estomac, endiguer la migraine.

Après un rapide Breakfast, nous avons une lessive à faire et Pierre va s'en charger pendant que je prépare les valises. Je ne devrais pas bouger, raisonnablement, et rester allongée. Mais ce n'est pas prévu au programme. J'ai pris un premier cachet pour pouvoir tenir debout, je fais des gestes les plus lents possible, pour atténuer le mal de tête.


Sous un ciel éclatant de lumière, sur la West Route 66, Williams, face au Motel

A 12h, Pierre n'est toujours pas revenu de la laverie qui est située à moins de deux-cents mètres du motel, au milieu d'une place vide. 
On devait quitter la chambre à 11h. La femme de ménage ne cesse de passer devant notre chambre avec son charriot.
Je suis inquiète.
Pierre ne répond pas sur son portable - c'est le répondeur.
Un soleil darde ses rayons, brûle le capot de la voiture. 
Les enfants restent au frais dans la chambre, regardent Bob l'éponge à la télévision.
Et si Pierre ne revenait pas?

J'ignore comment je réussi à mettre les valises dans la voiture - c'est le boulot de mon mari, elles sont beaucoup trop lourdes pour moi, et avec la migraine, c'est l'horreur, le moindre effort fait monter la douleur comme une vague scélérate, de l'estomac aux cervicales. Même avec les lunettes de soleil, je suis aveuglée par la lumière.

Finalement, parce que nous aurions dû déjà quitter l'hôtel depuis plus d'une heure et que je ne tiendrai plus très longtemps debout, j'avale un deuxième comprimé (ce sont des trucs codéïnés mortels, ça te bousille en large et en travers) et je traverse le parking en direction de la laverie.
En dépit des lunettes de soleil, le monde extérieur se résume à un halo blanc comme si Jésus ou ET allaient m'apparaître.


Ca ressemblait vaguement à ça de l'extérieur (photo trouvée sur le net)
Là, je trouve Pierre, tranquillement en train de glandouiller, un oeil sur le hublot du sèche-linge.
Il est parti voilà 2 h 30. 
Il a mis 2 h 30 pour laver un sac de linge!
Explication : entre deux cycles de prélavage/lavage, il est allé visiter les boutiques d'antiquités aux alentours.
Pendant que je me tuais le dos avec les valises dans le coffre surélevé de la Mercury, alors qu'il savait que je n'étais même pas en état de me lever, il est allé visiter ses satanées boutiques.
"Bah! quoi? On est en vacances, non?"
Après l'épisode du Grand Canyon, Pierre vient de décrocher la timbale. 
Je l'entends presque résonner en tombant à mes pieds, la foutue timbale.
Et soudain, je me sens seule, si seule, paumée avec mes enfants dans cette ville sans âme de l'Arizona.
Je suis, définitivement, Lola.
Quelque chose, de cet instant terrible, est né, quelque chose de forcément littéraire, entre la route 66 et moi : le destin de Lola Lombard est de se trouver là, dans cette laverie.




Nous réglons l'hôtel (le gars à l'accueil nous fait remarquer qu'on rend la chambre avec plus d'une heure de retard, on lui fait remarquer que sa chambre est pourrie, égalité), je prends place dans la voiture et m'écroule, anéantie par les médocs. 
Vaguement, je me souviens que nous nous sommes arrêtés chez un antiquaire avant de quitter la ville, puis, plus rien. Le sommeil du comateux. De temps en temps, lorsqu'on passe sur une bosse, je sursaute, soulève un quart de paupière, grimace de douleur, puis replonge.






Je vais dormir ainsi - au moins cinq heures - , jusqu'à ce qu'on arrive au barrage Hoover, soit une distance de 300 km avec les pauses antiquités, dèj et iced coffee. (je ne sais plus si je suis sortie de la voiture pour manger un morceau - pas souvenir).

De cette journée, Annette a fait un reportage photo que je trouve encore plus beau que tout ce qu'elle a pu saisir de la route avant: sa maman HS, elle est totalement libérée de moi, de mes attentes par rapport au blog, aux repérages du livre, alors elle se jette, s'éclate avec son appareil. Pierre, lui, est trop content de pouvoir s'arrêter devant tous les antique Mall et Bric-à-Brac signalés sur la route. Quant à Gaston, il est lui aussi touché par la grâce et s'est tenu tranquille durant le trajet.

Nous pensons tous que le plus dur est derrière nous car j'ai toujours dit que mon roman ne traiterait pas toute la route 66, seulement la partie jusqu'à Flagstaff.
Je me trompe.
Fort heureusement pour le roman final, je me trompe.

Enjoy Annette's photo reportage!





























Le barrage Hoover, un des plus impressionnant du monde. Fallait au moins ça pour Alimenter en électricité Las Vegas.

Là, le soleil ploie à l'horizon, la migraine se lève, je me réveille doucement.
 A nous Las Vegas!

1 commentaire:

  1. Oh Sophie, comme je suis heureux de retrouver ta trace à travers ces pages !... J'arrive du centre-ville, où je suis tombé par hasard sur ton dernier roman. Tu penses bien que j'en ai lu immédiatement les premières lignes, avant de me jeter sur les notes finales et les contacts proposés ! Un blog ?... Wouah, j'adore ça !... Loin des articles de La Mélodie du Bonheur, à travers lesquels nous bavardions autrefois par commentaires interposés, je déguste ici l'Amérique que j'aime tant. Bien sûr, le mythe de la Sixty-Six a la vie dure, mais j'aime beaucoup la façon dont tu le revisites ici, avec Le Pierre et les enfants, en accumulant les repérages. J'apprécie surtout les étapes en Arizona, comme celle-ci, car j'ai moi-même silloné ces lieux durant de longues semaines, en famille également, au cours de l'été 2009. Tu as raison, les reportages d'Annette valent sacrément le coup d'oeil. Dommage tout de même que tu dormais sur ce dernier passage, car le Road Café de Hackberry est un hot spot de la 66 Historic !... De mon côté, j'ai fait les choses dans l'ordre inverse. C'est seulement au retour de notre périple, en visionnant les milliers de photos mises en cartes, que me sont venues l'envie d'écrire, puis l'intrigue. Le livre s'appelle "Sur la route des frères Patison", paru aux Editions Atria, et il se retrouve d'ailleurs en position de finaliste, avec deux autres textes, pour le Prix du Roman du Lions Club, qui sera décerné le 17 mars prochain en clôture du Salon de Bondues-Lille Métropole... En tout cas, merci pour le voyage, Sophie ! Je vais sans doute emporter Black Coffee avec moi lors de notre roadtrip estival : encore l'Ouest en famille, mais version outback cette fois, deux mois à ravauder les bas fonds du Washington et
    le High Desert de l'Oregon, assurément sans touristes, pour profiter du vide, des rêves amollis et de la nature qui écrasent les bonshommes, au bout du compte... Et là, pour de sûr, je ferai aussi mes repérages en bâtissant une nouvelle histoire d'évasion, mais je vais essayer de tirer les leçons de ton expérience : surtout, ne pas épuiser les miens au moelleux du 4X4 qui nous propulsera sur les gravel roads du NorthWest !...

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