10.7.11

Shamrock - Amarillo - 11 juillet







Débuts difficiles. Dormi si peu que je n'entends pas sonner le réveil. Pierre non plus (bien qu'il se soit couché trois heures plus tôt), très fatigué par la conduite. Nous loupons l'horaire des petits dèj. Résultat: je suis de très mauvais poil (il faut me nourrir sinon je grogne). Le temps d'émerger et de faire les valises, il est midi. A Shamrock, impossible de trouver un resto qui serve un semblant de breakfast. Et personne n'a le courage d'attaquer une nouvelle journée torride avec des patates frites et du chili. Nous reprenons la route le ventre vide, laissant derrière nous quelques vestiges typique de la mother road, telle cette station service Magnolia.


Les enfants somnolent sans entrain et Pierre est en service minimum depuis qu'il s'est levé. Il confond sa droite et sa gauche, ce qui est embêtant quand on doit suivre un itinéraire précis. Tout à l'heure, il a égaré la clé de la chambre et on a perdu un temps fou à la chercher. Ca lui arrive régulièrement. Généralement, les passes se démagnétisent dans sa poche contre les clés de voiture. Plus étourdi, y a pas.
Le paysage est de plus en plus aride, tire vers l'épure, un ciel bleu menthe à l'eau se garni de nuages dodus comme des moutons. La 66 longe l'autoroute. L'asphalte dresse une sorte de colonne vertébrale saillante sous les roues, sollicitant les amortisseurs, et nous nous étonnons de ne croiser-là personne, pas un touriste. 



La ville fantôme de Lela consiste en une station service saturée de mauvaises herbes.
Nous roulons, accrochés à la route, priant pour qu'un Denny's surgisse devant nous, écoutant de la flûte indienne. Gaston a remis sa tenue de cow-boy qu'il ne quitte plus depuis deux jours. Annette et moi comptons machinalement le nombre de fois où Pierre oublie de mettre ou d'arrêter son clignotant. On s'occupe comme on peut quand rien n'habite l'horizon.


Mac Lean, enfin, et son musée consacré au fil de fer barbelé (!).


On trouve sur Main street de quoi se restaurer : Hope Deli & Bakery propose pizza, salade et hot-dog préparés à la commande.cIl font aussi office d'épicerie.




Juste en face, plein soleil, un vieux cinéma des années 30, style Art déco, a cessé depuis belle lurette de se remplir de spectateurs. L'arrière de l'Avalon Theatre est éventrée, Annette fige le décor apocalyptique des fauteuils envahis de ronces.






Une boutique d'antiquité attire Pierre et le petit cow-boy, mais elle est fermée. Mais dans une si petite ville, quelqu'un ne tarde pas à venir ouvrir, le genre fermier avec bottes, salopette en jean et barbe de pépé. L'homme propose à Pierre de le conduire dans une autre boutique en dehors de la ville. On va  donc suivre son pick-up.



Nous prenons par la sortie ouest de la ville et passons devant une station d'essence Philips 66 rénovée (la première du Texas, datant de 1929), toute petite, presque maison de poupée proprette.




Arrêt obligé dans un drôle de magasin d'antiquités, donc, ouvert spécialement pour nous. Les proprios - deux petits vieux - sont tellement gentils avec nous, et avec Pierre. Son côté lunaire plaît beaucoup! Mais quand il s'agit de discuter le prix d'un train, il est parfaitement à ce qu'il fait. Pierre achète aussi une étoile de shérif du Texas pour Gaston, Annette fait de jolies photos et j'emporte une série de carte postales vintage Coca-Cola, sans savoir que dans quelques mois, je ferai de ce lieu une des scènes de crimes du tueur de Black Coffee.


On poursuit notre route en direction de Groom, alternant I-40 et 66 dont le revêtement collant et défoncé (cette partie de la route est la plus ancienne). Impossible de retrouver le tracé initial. Certains alignements sont maintenant sur des propriétés privées. A Groom, le château d'eau surnommé "La tour penchée du Texas".



La route est de plus en plus désertique, beaucoup de champs de ranchs le long d'une route plus ridée qu'un lac un jour de grand vent. On tombe sur le Bug Ranch, une amusante copie de Cadillac Ranch qui nous attend un peu plus loin après Amarillo (Bug pour coccinelle... )





Enfin, nous arrivons à Amarillo, dernière étape avant le Nouveau-Mexique.  La ville la plus importante du haut Texas. Ville de cow-boys, dans la plus pure tradition de l'Ouest américain. Il y a ici un des plus grand marché aux bestiaux du monde. Pas étonnant qu'en arrivant ici, on ait aperçu depuis la route des milliers de bêtes à cornes parquées sur plusieurs miles... Pierre jubile: dans le guide du Petit Futé, il est dit que la rue principale est truffée de boutiques d'antiquités. Au passage, Annette photographie l'un des nombreux chevaux en fibre de verre peint par des artistes locaux.



Encore une fois, déception en arrivant au motel La Quinta réservé la veille : il est en travaux! Le comptoir d'accueil est couvert de sciure, et l'hôtesse, une plantureuse black, fait semblant di'gnorer la présence de l'ouvrier qui découpe à la scie sauteuse des planches de contreplaqué seulement à quelques mètres de nous. Il faut crier pour s'entendre. Prudents, nous demandons à voir la chambre dans le bâtiment adjacent. Nous sommes bien inspirés: les lits sont trop petits pour y dormir à deux, ce ne sont pas des queens. L'hôtesse accepte de me rembourser et nous partons quérir un autre logis pour la nuit - une fois de plus, ce sera un BW.

Nous dînons à l'étape incontournable d'Amarillo : le Big Texas Ranch www.bigtexan.com largement annoncé sur la route. La salle de restaurant est impressionnante avec sa déco en cornes de bêtes.




L'animation est assurée par un client qui tente ici de battre un record: manger près de 2 kilos de viande (avec les frites) en moins d'une heure. S'il y parvient, il ne payera pas l'addition. Monté sur une estrade avec à ses côtés un animateur et de l'autre un seau (en cas de trop plein), il est encouragé par toute la salle: cris et applaudissements fusent ça et là. Confortablement installés dans un box, servis par une serveuse cow-girl à chapeau, assommé par la route, nous assistons ravis au spectacle.

On sert à Gaston un soda dans une magnifique botte de cow-boy en plastique rouge avec une paille... Folklorique!





Salle de jeux et d'attractions, points photos, ça sent le piège à touristes depuis le début, mais contrairement à certains restos parisiens favoris des guides pour "pinpins", l'accueil est chaleureux, la serveuse aux petits soins, ce qui est servi est bon et c'est très correct question prix (l'euro au moment de notre voyage est à son avantage : on gagne près de 30% sur le taux de change). 


Nous rentrons nous coucher, des images pleins les yeux, comme on dit, de cette traversée d'un pays qui s'offre comme un bon toutou, sur le dos et pattes en l'air, attendant la caresse et les compliments.



... Pourtant, même après une journée aussi riche, j'ai le sentiment de ne pas m'être "nourrie" en prévision du roman. J'ai l'impression de ne rien retenir, que tout ce que je vois ou perçois glisse sur moi. Rien n'adhère à mon cerveau. Je ne devine pas encore le lien qui se forme entre la route et le roman, la symbiose parfaite et invisible. 
Non. 
A ce moment du voyage, je me fais plutôt l'effet de cet animal qu'on trimbale à l'arrière d'une remorque pour le conduire à l'abattoir, sans possibilité de me sauver pour gambader ailleurs, loin de fonction maternelle et maternante et des grosses machines à touristes que sont ces restos et musées un peu bidons.
Pour ma part, être mère et écrivain à la fois est, dans cet exercice de repérage, parfaitement insupportable.






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