28.6.11

Las Vegas / Barstow - 23 juillet





Nous avon quitté Las Vegas tardivement pour plusieurs raisons:
la première, nous voulions prendre le petit dèj au buffet pharaonique de l'hôtel, mais celui-ci ferme à 9h, même le samedi matin. Les Américains sont soit des couche-tards, soit des lève-tôts, soit des individus en manque de sommeil chronique - et donc, des dépressifs en puissance.
Nous avons donc été prendre notre breakfast au Denny's du coin - bondé, mais extra: Annette m'en parle encore (Ah! les pancakes avec des pépites de chocolat blanc, les assiettes de fruits frais...)
Quand nous quittons l'hôtel (30 mn pour parvenir au desk et y régler la note), il est plus de 13 heures. Nous traversons le strip sous une chaleur accablante (voir l'étape précédente), sillonnons la ville en quête de magasins d'antiquités (ça nous prendra bien deux heures pour en faire le tour et Pierre sera déçu de ne rien trouver d'intéressant) et quitterons donc la ville à 16 heures.
Trop tardivement pour faire la route en prenant le temps de s'arrêter.

Notre Mercury Grand Marquis, impeccable sur la route

Mais le moral est au beau fixe, ce break nous a fait du bien, et ce tronçon de la 66 que nous suivons entre Las Vegas et Needles est assez original, perdu au milieu de désert de Mojave (désert dédié aux vétérans des première et deuxième guerres mondiales, de la guerre du Golf et de la guerre en Irak, puisque c'est dans ces étendues hostiles et désertiques que les soldats sont entraînés), avec ses dips (dos-d'âne) a répétition qui donnent une perspective de la route en accordéon, comme si un géant l'avait repliée entre ses mains. Pas étonnant que les tournages de films comme Star Wars s'y soient déroulé: ici, à part rien, pas grand chose. L'ancien tracé de la route 66 progresse non loin du chemin de fer.
Les photos qu'Annette et moi avons prises donnent une vague idée du peu d'urbanisation du secteur.




Ce coin m'inspirait, je n'ai pas résisté et j'ai piqué l'appareil d'Annette

Au milieu du désert: des boîtes aux lettres et aucune maison à l'horizon!

j'aime photographier le vide, le désastre...

... Et là, je me suis régalée!
Je suis, pour ma part, un peu en dehors du coup, déjà loin de la route, comme si j'avais pris la tangente : je remplis mon petit carnet d'idées concernant le roman:

"1- La disparition du mari remonte à 3 ans
2 - L'épouse revient car la police n'a rien fait pour le retrouver
3 - Elle monte un bobard pour que les flics réactivent les recherches (localisation : Jerome)
4- Une photo prise dans un café à Flagstaff montre le mari devenu homeless (voir hébergement SDF sur Flagstaff)
5 - Lola décide de tuer son mari/victime d'un coma éthylique, elle le fait boire à mort? Pas de papier d'identité, sa cabane part en fumée... Impossible à la police de faire de rapprochement entre le mari de Lola et l'homme disparu, Lola obligée de revenir à Flagstaff pour prouver que le cadavre du homeless trouvé dans la forêt est bien celui de son mari et ainsi se débarrasser des dettes tout en n'éveillant pas les soupçons sur elle
6- Mode opératoire= Lola invente l'existence d'un serial killer dont son mari serait une victime/ Invente un SK en recoupant des faits divers criminels commis sur la route 66
7 - Lola a tout prémédité?
8 - Imaginer la scène lorsque Demond se présente au centre d'accueil pour homeless de Flagastaff et que Lola reste cachée dans la voiture de peur que la responsable ne reconnaisse la femme qui est venu quelques mois plutôt demander après un de leurs pensionnaires.
..."

Evidemment, je vous livre ces notes car, finalement, rien de tout ces éléments ne sera conservé dans le roman (!).
Il faut parfois passer par des dizaines d'hypothèses pour trouver la bonne. Et bon sang! ce que j'ai pu gamberger autour de cette foutue route et de Lola laquelle au départ se prénommait Nathalie (en hommage à une amie) et habitait "un coin paumé" magnifique : Grignan, où la librairie et association Colophon fait chaque jour des miracles autour des livres, des lecteurs et des auteurs.


Et comme j'ai la tête baissée sur mon carnet, je ne vois pas que je suis, en réalité, au coeur de la route, là où elle bat le plus fort, dans ce dénuement total de collines stériles, cet abandon désertique et sauvage, ces ruines de villes fantômes hors du temps, une route qui s'offre à moi dans un coucher de soleil ravageur.




The flying Saucer's Repair Station, ancienne station service datant des années 30

Entre Needles et Barstow, nous allons passer plusieurs villes jadis habitées par les pionniers à la fin du XIXème siècle (comme on peut en voir dans le film "La prisonnière du désert") : Goffs, Essex, Amboy, Bagdad, Newberry Spring.

Goffs, ville fantôme




Public Art Corridor, que l'on retrouve dans le roman


De mon point de vue, c'est bien là que vibre cette foutue route, là qu'elle crie le plus fort en brandissant ses oripeaux, fière, sale, brûlée par le soleil et le sable, branlante, chaotique, à l'image du personnage qui enveloppe Black coffee de son mystère et pour lequel je me suis inspirée de Clint Eastwood - le vieux Clint de maintenant, raide, digne, aigre-doux, l'oeil toujours vif, jamais dompté, debout, ridé jusqu'aux oreilles, la peau constellée de tâches rousses. 

(DR)

C'est sur ce tracé, cette partie du désert de Californie que mon cerveau s'est imprégné du sel et du sang de cette route alors que je ne m'en rendais même pas compte. C'est comme si vous assistiez à une scène de crime en arrière plan et que votre regard restait fixé sur l'image d'une petite fille qui mange une glace au premier plan. Voilà exactement ce qui s'est passé pour moi ce jour-là.
Je n'ai entrevu le personnage principal du tableau - argument principal du roman - que bien plus tard, assise à mon bureau, seule, à des milliers de kilomètres de là:


Photo extraite du film "La route" qui a inspiré le tableau évoqué dans le roman

De là, l'importance des quelques photos prises par Annette entre Needles et Barstow, et la nécessité de revenir plus tard sur les lieux via google-map et Street view pour fixer ce qui avait été entrevu.

L'arbre à chaussures qui surgit sur la route, par exemple, un peu avant Amboy.
Assez terrifiant. Mais déjà tombé à terre lors de notre passage.


Amboy shoes tree (DR)


... Et l'enseigne mythique du Roy's Motel Café à Amboy dont nous n'avons pris aucune photo car le coin nous faisait franchement peur, il faut bien le dire, perdu au milieu de nulle part. Nous n'avions croisé aucune voiture sur la route depuis plus d'une heure, dans un sens comme dans l'autre.
Je ne sais plus qui a dit : "brrrr! Pourvu qu'on ne crève pas un pneu."


Image de l'enseigne du Roy's Motel Café trouvée sur le net,
et que j'ai proposée à mon éditeur comme projet de couverture (DR)


Puis,  nous rencontrons le décor d'un film Bagdad Café. A l'origine, le film a été tourné à Newberry Springs. La ville de Bagdad, à quelques miles, n'est plus qu'un village fantôme dont il ne reste quasi rien. Une partie du décor du film a été détruit par l'ancien propriétaire. Une caravane dans le style de celle du film (où logeait Jack Palance) pose, telle une vieille star de cinéma qui ne fait même plus attention aux photographes. Nous n'avons pas eu le temps de nous y arrêter - dommage! Ca m'aurait été utile pour le roman.







Nous irons jusqu'à Barstow, faisant une halte pour immortaliser un fabuleux coucher de soleil sur la route. Je demande à Annette de me photographier: c'est un peu comme si je venais de gravir l'Everest mais à l'horizontal, non? Et je trouve que nous allons bien ensemble, cette route et moi : elle porte mon année de naissance tatouée sur la peau, elle a au moins autant de fêlures à l'âme et un paquet d'histoires à raconter.




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